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2 juillet 2005

Il y avait un jardin qu'on appelait la terre...

"C'est une chanson pour les enfants
Qui naissent et qui vivent entre l'acier
Et le bitume entre le béton et l'asphalte
Et qui ne sauront peut-être jamais
Que la terre était un jardin

Il y avait un jardin qu'on appelait la terre
Il brillait au soleil comme un fruit défendu
Non ce n'était pas le paradis ni l'enfer
Ni rien de déjà vu ou déjà entendu

Il y avait un jardin une maison des arbres
Avec un lit de mousse pour y faire l'amour
Et un petit ruisseau roulant sans une vague
Venait le rafraîchir et poursuivait son cours.

Il y avait un jardin grand comme une vallée
On pouvait s'y nourrir à toutes les saisons
Sur la terre brûlante ou sur l'herbe gelée
Et découvrir des fleurs qui n'avaient pas de nom.

Il y avait un jardin qu'on appelait la terre
Il était assez grand pour des milliers d'enfants
Il était habité jadis par nos grands-pères
Qui le tenaient eux-mêmes de leurs grands-parents.

Où est-il ce jardin où nous aurions pu naître
Où nous aurions pu vivre insouciants et nus,
Où est cette maison toutes portes ouvertes
Que je cherche encore et que je ne trouve plus." Georges Moustaki.

incendie

L'été est là... Le coeur serré, le souffle court,... j'écoute le présentateur du JT égrener les nouvelles du front...

650 hectares brûlés, près de Lançon de Provence. Lotissements cernés par les flammes. Images de mères stressées enfournant leurs enfants dans les voitures, regard apeurés, cheveux balayant leurs visages. Images vrombissantes des canadair rase-motte, bourdons sauveteurs de nos villages provencaux. Tout est là. Immuable. Eté après été. Année après année. Eternel recommencement de la folie des hommes. Seule, l'odeur âcre de la fumée ne sait traverser l'écran. Il n'en ait pas besoin. Mes yeux piquent déjà. Larmes de rage des lendemains de feux, quand la colline, fumante encore, désole votre regard à perte de vue. C'est une route quotidienne. Durant des mois, mon coeur saignera en traversant ces lieux deux fois par jour... Rouge sang, rouge feu, cendres grises, Provence perdue, éternelle proie des incendiaires fous furieux...

Il y avait un jardin qu'on appelait la Terre...


Août 1978. La chaleur des derniers jours fait chanter les cigales autour de la maison. Lempdy, colley à la robe majestueuse, soupire allongé sur le carrelage frais, en cette fin d'après-midi. Comtesse, siamoise malicieuse, le fixe de son regard énigmatique. Du jardin elle a ramené un trophée : un beau lézard vert, cadeau ignoré. Maîtresse fâchée. Maître amusé... Bizarre, ces hommes ? Comment les comprendre ? D'une démarche hiératique, en reine offensée... elle part se coucher sur le lit de ma fille...

Un souffle d'air se lève.. Ouf, on va mieux respirer... Demain dimanche, grasse matinée. Les enfants en vacances chez les grand-parents... on va traîner, voir des copains, flâner... Qu'on est bien en Provence, à cinq heures en été...

Dès l'aube, ce matin les canadair ont commencé leurs folles norias... Le feu ??? Où ?? A un kilomètre du village, c'est le départ des collines qui mènent vers Aurons, Vernègues puis la plaine de la Durance, un haut plateau où il y a peu de routes. Rochers, pins, garrigue...

Nous filons au bout du lotissement. Le feu semble tout près. Si loin. Un immense champ nous sépare des collines... Toute la journée, impuissants, nous regardons les collines lentement être blessées... La fumée ne vient pas vers nous. Nous avons le coeur serré... à la radio, on entend les nouvelles laconiques tomber... un foyer, deux foyers, ... dix foyers. Vers Istres, vers Aubagne, vers Cassis, ... Le moyens en renfort arrivent des départements voisins. Les moyens sont divisés... là-bas dans la colline, les canadair sont moins nombreux à faire la noria... Il n'y a ici aucune villa en danger. Pas de vie humaines à protéger. Seuls à brûler, les grands pins... et tous les petits habitants à quatre pattes et à deux ailes qui se sont vite sauvés pour quelques uns à la première alarme. Nous ne quittons pas notre poste de guet. Le vent a redoublé ses efforts. Il est tellement froid que l'on va se couvrir..

Le soir tombe peu à peu. Signe d'apaisement ??? Le mistral répond à l'inexorale 1 - 3 - 6 - 9 ... ces chiffres représentent le nombre de jours où il dure... sans s'apaiser. Les canadairs se sont tus. La nuit est au feu, aux dieux ou plutôt à l'enfer. Petit ange protecteur où es-tu ?

Ca ne sera pas un jour. Le vent fait toujours rage. Le spectacle dantesque. Le feu grignote l'horizon. Les collines une à une s'embrasent, comme si un invisible  malin allumait les lanternes là-bas dans le lointain..

Il est une heure du matin. Nous nous résignons à aller nous coucher, demain il faut aller travailler. Je tombe dans un sommeil sans rêve... ou bien je rêve de jardin bien verts ?

Des cris me tirent du sommeil, le coeur en chamade je me lève. Il y a plein de fumée. Des flammèches traversent le ciel, les arbres. Le lotissement est tombé dans la folie. Nous ne sommes pas sur le trajet du vent... pourquoi ?

Vite, vite, les animaux à récupérer... partir, se sauver, qu'emporter... Je tourne en rond, prisonnière pris au piège, l'esprit n'est plus qu'instinct. Instinct de survie. De fuite.

- Prends les affaires, on file, me crie mon mari.

Je suis hébétée... quoi prendre... En  vitesse, sans réflexion je prends la "boîte" à papiers importants, les albums photos.. tous, une poupée à ma fille, une peluche de mon fils... Un dernier coup d'oeil, le chien et la chatte sont bien là.. offensés, indignés... On sort du lotissement et on file au village.

Ouf ! En sécurité... Le coeur s'apaise, les ombres de la nuit disparaissent..

Le lendemain matin, au retour, les arbres sont là, intacts, juste quelques petites branchettes calcinées rappellent les flammèches de cette nuit.

La maison aussi est intacte. On ouvre les volets. Une épaisse couche de cendres y est amassée.. La maison sent le feu... cette odeur restera imprégnée, tenace des semaines.

On ouvre le coffre.. sous les albums photos que j'avais sauvegardés... tous nos manteaux d'hiver sont là amoncelés. Sauvés par mon mari...

Nous avons eu de la chance. Quelque part, en Provence ce matin-là, des gens désepérés regardent leur jardin dévasté, anéanti. Leurs rêves brisés. Des mères, des épouses pleurent les soldats du feu qui se sont fait cerner. La Provence est consternée, meurtrie. La nature est en deuil pour des mois, parure de linceul noire et grise..

Quelque part, dans son salon, les yeux rivés sur son écran de télévision, un homme se nourrit de ces drames. Il attend le prochain jour de Mistral pour nourrir son rêve.

Il était un jardin qu'on appelait la Terrre...

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Commentaires
I
Quand on aime ce pays, cette douloureuse répétition est irrévocablement liée à l'été... et à cette blessure sans cesse renouvelée... Dur prix à payer... Existera-t'il un jour un été "sans feu" ???
A
je n'ai jamais écrit sur cela, pourtant tu parles de ma région..j'ai tremblé pour mes amis, pour les arbres, pour mes coins de verdures l'année derniere lors des incendies qui ont encore une fois ravagé le var, frejus, st raphael, l'estérel. Animaux tué ou bléssés, partie entières de régions calcinées..je ne crois pas que je pourrai rester calme, mm en mots..
C
Entendre ce genre de nouvelles à la radio...<br /> Lire ces nouvelles dans le journal...<br /> C'est déjà dramatique, on a le coeur serré<br /> Mais les lire de ta plume, cela devient un cauchemar vécu minute après minute, dans la désolation, le désespoir<br /> <br /> Oui, il était un Jardin qu'on appelait la Terre...
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