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Mots interdits
16 octobre 2005

Complot

Un texte écrit lors de mon atelier d'écriture du début du mois à Hurtebise.

Le thème : Complot de famille.

Les consignes :

1. Utiliser obligatoirement une phrase type parmi 5 phrases données pour commencer le texte
2. Utiliser un objet donné (un coquillage)
3. utiliser l'idée ou le mot inscrite sur une carte de tarot tirée (être dans l'action)
2. Thème du complot attribué par tirages de petit papiers parmi plusieurs type. (c
omplot pour cacher à quelqu’un qu’il souffre d’une maladie grave).

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On enterre une femme à deux heures, et la pluie tombe drue sur le parvis de l’église. Nous sommes au mois de juin, on aurait pu espérer éviter, en plus, ce temps de chien. Un petit groupe est réuni devant l’église. On les a vu arriver avec leurs voitures étrangères, des 13 des Marseillais. Dans cette petite ville au cœur de l’Allier, au plein centre de la France, l’évocation de ce département, de cette ville évoque presque d’autres pays, d’autres mœurs. C’est-y donc encore la France ? Ben, on croirait pas… avec tout ce qu’il s’y passe ! Ils dévisagent donc avec grand intérêt les occupants de ces voitures.

Celle que l’on attend, celle qui revient c’est la Sylviane. La nouvelle a fait le tour de la petite ville, il y a quelques jours. Les gens en sont encore atterré. Quoi ? Cette belle femme d’à peine cinquante ans ? Si forte, si vivante ? C’est-y pas possible ??? Mais l’été dernier, elle était là. Au baptème du ch’ti Adrien, son premier petit-fils ? Boudiou ! Mais … C’est-y pas possible ! Les habitants du village sont là nombreux. Des plus vieux, des plus jeunes. Des très vieux aussi. Ceux qui connaissent la mère de Sylviane… c’est-y pas normal,  ca d’enterrer ses enfants...

Ils connaissaient bien la Sylviane, pour les moins jeunes, c’étaient ses amis d’école. Car elle a vécu longtemps ici à V. Elle y est née, a fait toutes ses écoles, s’est mariée ici. Avec un gars d’chez nous. Et puis elle a eu ici aussi ses petits. Ses trois grands gars. Ca fait quoi ? Douze ans qu’elle est partie dans le midi. Elle a suivi l’Roger qu’était muté. Mais, elle revenait régulièrement à toutes les vacances scolaires, aux fêtes. Et puis, elle l’avait dit, quand il prendra sa retraite, on reviendra ici. Au pays. Loin de cette Provence pleine de ce vilain mistral… Dans la douceur du pays… Ils l’attendent. Oui, elle revient.

Nous sommes en aôut, l’année précédente. Il n’y a même pas un an. Ils sont revenus de l’Allier, du baptème du premier petit-fils Adrien. Elle est contrariée Sylviane. Son aîné qui est devenu papa, elle s’est quasiment fâchée avec lui. Elle a un caractère fort, elle mène sa petite troupe, son mari un gars bonnard, toujours d’accord, qui s’appuie sur elle. Elle est l’élément fort. Elle porte la culotte comme on dit. Avec ses gars, elle a plus de mal. Ils ont un foutu caractère et ca s’emporte facilement. Mais, face à elle, la mère, ils se taisent. Ils n’osent pas dire. Quoique pour ce baptème, elle a bien senti que son grand lui échappait. La belle-mère est plus fortunée… alors … mais c’est qu’il a l’air intéréssé son grand dadais. Elle ne l’a tout de même pas élevé comme ca !

Elle est contrariée. C’est pour cela qu’elle a mal à la tête. Depuis ce baptème, elle a mal à la tête. Cachet sur cachet… elle  prend, avale. Mais ca ne passe pas. Elle n’aime pas trop se soigner. Elle vit maintenant avec son mari et son dernier fils. Il a à peine 20 ans. Il vient de rencontrer une petite jeune fille, qui a l’air bien. Son deuxième fils fréquente aussi une fille de l’Allier. Ses deux ainés vivent donc à V. Le petit dernier lui n’a pas le même caractère. Plus fragile, plus interiorisé. Non, lui il a rencontré une fille d’ici. Enfin pas une marseillaise de souche, heureusement. Bonne famille. Parents avec une bonne situation. Mais pas le milieu paysan et fermé de l’Allier. Non plutôt des intellectuels à ce qu’il paraît. Elle ne les connaît pas encore. Il faudra voir ca de près.

Le médecin qu’elle finit par accepter de voir a l’air inquiet. « Je crois qu’il vous faut passer des examens complémentaires.  - lui dit-il - Le mieux serait d’aller à la Timone à Marseille. Elle n’est pas trop d’accord d’aller si loin, il va falloir que son mari pose des permissions pour se libérer. Le médecin se fait insistant. Elle cède. Ils prennent rendez-vous.

Le professeur parle dans sa moustache. Ils ne comprennent rien à ce qu’il dit. Si, une chose.  Qu’il faut l’hospitaliser trois, quatre jours pour des examens approfondis. Elle est étonnée, son mari aussi. Elle n’est pas malade. Non, juste ces maux de tête… et puis d’ailleurs… ils ont l’air de diminuer ces jours-ci. Ce ne doit pas être grave. Elle le saurait. Elle serait malade.

Deux jours après, elle rentre dans le service et se soumet docilement au scanner, aux prises de sang. A tous les examens. Le professeur journellement passe. Toujours vite. Il ne parle pas. De toute façon quand il parle … on ne comprend pas ce qu’il dit. Il a une voix sourde. Basse. Et puis les termes…inconnus, qui ne lui évoque rien.  Sylviane ne s’inquiète pas. Elle le saurait si elle est malade. La petite jeune fille que son fils fréquente est bien gentille. Elle est venue s’installer chez eux, s’occuper du repas, de la maison.. en attendant qu’elle revienne. Dégourdie pour ses vingt ans cette petite !

Dernier jour d’hospitalisation. Le professeur convoque son mari.

- Votre femme a un cancer. Une tumeur au cerveau. Stade évolué. Elle n’en a plus pour longtemps. Moins d’un an. Sans doute beaucoup moins. Je vous propose de l’opérer, de faire un peu de chimio. Mais je ne vous cache rien. Je ne peux pas la sauver. A moins d’un miracle. Que voulez faire ?

Lui est attéré. Que veut-il faire ?? Il ne sait pas. C’est toujours sa femme qui prend les décisions. Elle est si volontaire, si forte. Elle va se battre. Ce professeur... il ne la connaît pas sa femme ! C’est pas possible que cette maladie la terrasse. Il ne faut rien lui dire, minimiser. Qu’elle ne se fasse pas de souci. Qu’il l’opère. Et elle va s’en sortir ! Ne rien lui dire surtout. Qu’elle garde le sourire, la force et avec sa force de vie il va voir ce professeur ! Elle va le terrasser le cancer !

Ils rentrent chez eux. Elle sait qu’elle va être opérée. Une petite grosseur toute bénigne qui appuie et lui donne ces maux de tête. Il l’a dit le professeur. On va lui retirer et ca sera fini. Elle ne s’inquiète  pas de ce petit incident de parcours. Non, elle s’inquiète de sa maison, de ses hommes, de la petite vie quotidienne qu’il faut assurer. Elle est contrariée aussi pour ses cheveux, il faudra les couper - a dit le professeur. Bof ! ca repousse !

Elle est entrée dans le service l’âme légère, le sourire aux lèvres. Elle a franchi la porte et ne sait pas encore que ce premier pas est celui qui, pas à pas, souffrance après souffrance, va la mener aux portes de l’au-delà. Si vite. Si irrémédiablement.

La vie s’organise. Son mari, son fils, sa future belle-fille tout le monde se relaie. Elle fait la connaissance de la mère de cette future belle-fille. Drôle d’endroit pour se rencontrer. Elle est venue quelques jours après l’opération. Lui a tenu longuement la main… Trop tôt pour parler mariage. Mais Sylviane l’a remerciée. D’avoir fait une fille de vingt ans si gentille, si humaine, si serviable, si impliquée. Cette femme l’a rassurée.. dans quelques mois, quand elle ira bien, on pourra les fiancer… On se reverra.

Les mois d’hiver se succédent. Le printemps renaît. Le mensonge dans lequel ils sont rentrés, ils sont tous enfermés dedans. Elle, petit à petit cède du terrain. Elle parle de l’été prochain. Des fiancailles peut-être. De mariage ? on verra. Elle évoque ce petit-fils qu’elle n’a connu que pour son baptème. Elle subit des rayons, elle avale des médicaments. L’infirmière vient régulièrement, de plus en plus. Elle a perdu tous ses cheveux. Et puis elle a enflé. Terriblement. Plus de coquetterie. Elle se replie sur la maladie. Lentement. Sûrement. Sans en savoir le nom.

Elle a abandonné la maison à cette petite belle-fille. Si patiente. Si douce. Elle remplace cette fille qu’elle n’a jamais eue. Elle regrette de n’avoir eu que des gars un peu rustres, un peu brusques. Non, sa petite belle-fille est toujours là souriante, prête à l’écouter, respectueuse. Quand elle pleure, c’est loin d’elle car elle voit son fiancé dépassé, son futur beau-père noyé dans l’appréhension. La non-action. Elle, elle est dans l’action. Intensément. Elle rattrape en quelque mois ce qu’elle aurait pu vivre durant plein d’années. Elle veut connaître leur vie d’avant, à cette famille qu’elle va adopter en se mariant. Elle interroge Sylviane, souvent, regarde les albums-photos. Elle a vingt ans, mais elle veut tout connaître et surtout tout lui donner.

On est début juin. La maladie a tellement progressé. Elle souffre Sylviane, se coupe du monde. Cette attente qui n’en finit plus est insupportable pour les proches. Ils la gardent là à la maison, avec sa non connaissance de cette maladie qui la conduit à la mort. Mais tant qu’elle est chez elle, elle doit penser qu’elle va guérir.

D’ailleurs pense t’elle ? Elle dort tellement et puis souffre tellement et puis elle devient même irrascible… mon oreiller est mal mis, j’ai mal, … les jours s’égrènent.. et enfin un petit matin, elle quitte ce monde de douleur, emportant avec elle ce secret … A t’elle su ? A t’elle réalisé ?

La maison est enfin vide de ses cris, de cette douleur. Ils vont l’emmener là-bas dans son Allier où elle n’est plus retournée depuis le baptème d’Adrien...

….

Le fourgon mortuaire arrive. S’arrête. La foule est silencieuse. Le père et les trois fils s’avancent prendre les poignées, entrer dans l’église porteurs de ce cercueil. C’est la coutume.

La petite belle-fille est là, sa mère est auprès d’elle. Elle lui serre la main fort. Elle a partagé ces mois douloureux que sa fille a vécu. Sans vraiment pouvoir l’aider. Mais parlant avec elle. La soutenant. Elle est restée là, admirative de cette femme qui est née dans sa fille… ce n’est plus une enfant… elle devient adulte.

Ce n’est plus une enfant, non. Le test qu’elle a acheté a été significatif. Elle attend un bébé. Elle aurait aimé lui dire à cette belle-mère que ses enfants ne connaîtront pas. Elle ne l’a pas encore dit à sa mère. Elle lui dira plus tard… qu’elle sera la seule grand’mère réelle.

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-  Dis Mamette, pourquoi mamie Sylviane, je ne l’ai pas connue ?

Que lui dire ? Ma petite fille m’en parle souvent, régulièrement. Elle lui écrit des mots qu’elle met sous sa photo. Quand elle est fâchée, ou quand elle est contente. Petits messages pour cette mamie qui est au ciel. Cet été, au retour des vacances, elle a déposé un coquillage ramassé sur la plage. Pourquoi je me sens coupable d’exister, moi ?

bougies

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Commentaires
I
La vie n'a pas que des bons moments.. les récits non plus. Et les histoires finissent souvent mal.. trop mal !
C
Très dur a lire. Faut s'accrocher pour pas y perdre son moral!
L
Jolie plume et triste histoire.<br /> J'aime beaucoup.
L
Je me suis laissé emporter par cette histoire Iles Cook, j'aurai bien aimer que tu fasses continuer encore un peu l'histoire de cette famille :-)
S
Belle écriture mais ça me plombe le moral entre deux Picsou ! <br /> Bonne soirée
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