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11 décembre 2007

Elle a hissé les voiles....

Elle a hissé le voiles.

Petite fille de pirate, son enfance est émaillée de récits d’abordages, d’îles inconnues, de mers d’azur, de poissons volants. Mais aussi de tempêtes.

Drôle d’hérédité que ce grand’père qui a fini au bagne. Elle en a peu de souvenirs, jamais il ne l’a prise sur ses genoux. Elle en avait peur, un peu, beaucoup.

Celle qui a vraiment marqué son enfance, c’est sa grand-mère. Une mémé comme beaucoup d’enfants auraient aimé avoir. Tendre, parfumée. Un bouquet de fleurs. Son visage était pourtant tout marqué, ridé comme une vieille pomme. Ses yeux d’avoir trop pleuré étaient tout délavés. C’étaient des yeux d’océan, d’avoir trop scruté l’horizon, la peur au ventre. Cette grande mer qui avalait son homme.

Souvent la petite lui demandait… « Comment l’as-tu connu ? Est-ce que tu l’as aimé ? »

Sa grand-mère ne lui répondait jamais, elle élucidait… « mais, c’est l’heure d’aller au lit ma petite ! T’es-tu lavé tes dents ? Tes mains ? Il te faut bien vite aller au lit car demain c’est l’école. Je ne veux pas que tu sois une ignorante comme ton père et tes oncles ! »

Et prestement, une fois au lit, elle venait la border, déposait un baiser doux sur ses paupières. Elle récitait ses prières rituelles appelant la Sainte Vierge, saint Nicolas le patron des marins et la petite ânonnait avec elle.
Mais les prières finies, sa grand-mère sortait de la chambre, laissant la porte entrouverte pour que passe un peu la lumière

Elle luttait, de toutes ses forces elle luttait. Contre le sommeil. Contre ces cauchemars qui allaient l’envahir, elle en était sûre. « A l’abordage !!!!!!!! » La voix tonitruante, le sourire carnassier et l’œil de braise de son grand-père venaient envahir ses nuits. Elle se réveillait en hurlant, la peur au ventre, de grands sanglots la secouaient et les cris s’étouffaient dans sa gorge.

Cela s’était accentué depuis qu’ils avaient appris que le grand-père était mort là-bas. Au bagne. Comme un chien. Alors, dans ses nuits, des crânes hideux avec les orbites vides étaient venus s’ajouter à ses cauchemars. Elle dépérissait. Jamais ne trouverait-elle le repos ?

Sa grand-mère pourtant depuis était plus sereine. Comme si un voile s’était levé. De son jardin où elle laissait une place privilégiée aux fleurs, elle ramenait des bouquets et elle fleurissait la photo du grand-père. De toutes les fleurs, celles qu’elle affectionnait c’étaient les glaïeuls. Ils étaient magnifiques… des roses, des rouges, des jaunes… Leurs corolles colorées étaient une ode à la joie, à la vie, elle, petite bonne femme toujours de noir vêtue.

« Tu vois, petite, ces fleurs sont droites comme un I. C’est comme cela qu’il faut être. »

Et la petite l’aidait dans sa cueillette, choisissait avec elle les plus belles. Elle en emmenait aussi à l’église. A la statue de la Vierge Marie, et à saint Nicolas car son père et ses oncles étaient toujours par mer. Ce n’étaient pas de pirates, non, ils étaient de simples pêcheurs mais allez savoir en mer ? Elle inspectait les caisses au retour, voir s’il n’y avait pas de trésor… non l’argent n’était que le dos des sardines…. Et les paniers n’étaient jamais bien lourds ni remplis…

Son enfance se déroula en demi-teintes : du noir des cauchemars de ses nuits, au rose de la douceur de ses jours, grâce aux bons soins de sa grand’mère.

Elle a hissé les voiles.

Ce matin elle a accompagné sa grand’mère à sa dernière demeure. Elle s’était éteinte doucement, sans mot dire. Son visage s’était lissé d’un coup, comme avec une baguette magique. Comme si toutes les peines, toutes les souffrances s’étaient envolées.

Elle l’a accompagné, et dans le petit cimetière marin elle a déposé sur la butte de terre toute fraîche un immense bouquet de glaïeuls. Des roses, parce que c’est sa couleur préférée.
Elle a fait sa prière à la Vierge Marie, à saint Nicolas.

Pour la première fois de toute sa vie, elle n’a pas fait de cauchemars.

02_bateau___voiles

Il y avait une belle goélette toute blanche. Une mer d’un bleu d’azur sans tempête. Elle a pris les glaïeuls, elle en a fait des voiles. L’air s’est embaumé. Des pétales sont tombés, frêles esquifs qui sauveraient des marins en perdition.

Et là-haut dans le ciel, une étoile s’est mise à briller, comme un clin d’œil, un sourire mutin.

Elle a soupiré, versé une larme qui avait goût d’eau de mer.
Un pétale s’est doucement glissé sur ses paupières. Comme un baiser d’autrefois. Elle a senti le parfum…

Et elle s’est endormie.

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Commentaires
I
Merci Christina... tes mots me touchent le coeur.
C
C'est beau, touchant,certains souvenirs d'enfance reviennent à la surface, alors que je pensais les avoir jeté à la mer depuis longtemps!<br /> Bravo pour ce magnifique texte, qu'il est difficile de lire sans laisser couler ses larmes.<br /> Merci.Une grande pensée pour toi.
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