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Mots interdits
5 juin 2005

Coucher ici les mots.

J'ai 63 ans. Tous frais, tous neufs. Il est temps, grand temps de libérer les mots prisonniers. Tous les interdits, tous les non-dits. C'est ici que je vais ouvrir les portes.

Un peu d'angoisse, un peu de peur. Mais j'ai toujours su affronter, un peu casse-cou.. un peu casse-gueule. Il suffit de ne pas trop regarder en bas, derrière. Une fois lancée, c'est bon. C'est le premier pas qui compte...

Deux fois, dans ma vie je me suis trouvée "expres" dans ce genre de situation. A faire ce premier pas, celui qui fait que le retour arrière n'est pas possible. Pas de touche back space ou escape.

Dans les rochers des calanques de Marseille... ivre des premières découvertes de cet endroit magique. Une promenade, un rocher, des cordes. Descendre en rappel ? Pas de problème ! J'en ai rêvé toute ma vie ! Révé... oui. Etre dans les rochers, jamais ca m'est arrivé. Ils sont là, autour de moi, inconscients. Moi aussi, je m'avance sur le promontoire moitié sur le cul, moitié reculant... je ne sais plus comment. Et puis, je suis au bout. Revenir en arrière incapable. Il faut se projeter en arrière. J'ai peur? pas vraiment. J'ai une confiance idiote en cette corde que je serre comme une folle. Il faut se projeter en arrière. Voilà, j'ai peur de ce premier mouvement. Je chantonne, je transpire, j'entends les conseils que je n'écoute pas... Je me maudis... je tergiverse... et puis je sais. Je n'ai pas d'autre choix que d'y aller. Et au fond, si je suis là, c'est moi qui m'y suis mise toute seule. "A mourir pour mourir, je préfère l'âge tendre...". Un coup de fesses en arrière, ca y est !! Le bonheur ! La libération. La corde est là, sûre me rattachant à la vie mieux qu'un cordon ombilical... Déjà la première corniche... je suis fière. Je l'ai fait. J'existe.

Les années ont passé. Au camping au-dessus de la piscine, une grue s'est installée. Saut à l'élastique. Ma jeunesse dans les calanques me remonte à la tête, comme si c'était hier. 20 ans de plus. La raison ??? Les conditions sont sans doute, plus contrôlées. Je suis dans les premières à m'inscrire... la première aussi à fanfaronner quand on m'hanarche. Montée sur la passerelle. Le moniteur à côté de moi galège... La plateforme bouge, un léger vent venu de la mer, il est 9 heures du matin. La vie aurait pu être simple comme un croissant et un café dégusté juste en dessous. Et ca monte... J'ai froid. Ca s'arrête. Ce silence d'un coup. Bon et maintenant ??? Dans les calanques au moins ... je tournais le dos à l'ennemi ! Là, il faut y aller face à face. Yeux dans les yeux. Aie, aie, aie. Je n'avais pas prévu ca. Le moniteur me parle, je n'écoute pas. Bon il faut y aller.

Moi : "Je suis venue pour sauter"

Lui (avec un sourire amusé) :  "Oui"

Moi : "Je ne peux pas faire autrement"

Lui : "Si, on peut vous redescendre comme on vous a monté"

Moi : "Ben, non, je suis venue pour sauter !"

Lui : "Alors, avancez au bout de la plateforme.. et sautez comme vous plongeriez !"

Il est drôle ce mec. Je ne veux pas aller au bout de cette passerelle... je vais tomber !! Et puis en plus, je ne sais pas plonger et j'ai peur de plonger...

Bon, j'ai mon amour-propre. Je ne vais tout de même pas redescendre !

Alors j'avance, à pas de fourmis, mon corps tremble. Je suis au bout. Je lève mes deux bras (pas vraiment le goeland qui veut prendre son envol... mais je ne vais pas en plus essayer de faire du style, non ?) et puis le miracle, mon corps penché en avant bascule, et c'est magique ! Je vole, un cri (celui de l'enfant qui ouvre ses poumons au monde ?), l'élastique est doux par rapport à la corde des calanques, je remonte, je redescend... le monde m'a libérée. L'air est du coton, les va-et-vient s'arrêtent... la descente s'achève, non pas dans l'eau, quelqu'un m'attire vers le rebord. Contact avec le bitume. La réalité. Le monde est là avec la pesanteur.

Pourquoi ces deux images, au moment de poser les mots ici pour les libérer ?? La crainte et la peur sont les mêmes. La difficulté... plus grande aussi : l'âme se maîtrise moins bien que le corps. Le passé bien plus lourd que l'attraction universelle. La descente sera plus longue aussi. Mais la libération, elle est necessaire pour pouvoir continuer de vivre. Donner des ailes à mon coeur et pouvoir étendre mes ailes pour parcourir et découvrir le monde.

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Commentaires
B
...à découvrir ton journal, l'intime des maux...<br /> <br /> Une écriture intense avec cette avidité à respirer du bonheur, à vouloir en offrir tout autant, malgré tout.<br /> Des phrases courtes et saisissantes quand le souffle vient à manquer.<br /> On ne peut que t'encourager à laisser couler l'encre pour défaire les maux, puis ensuite lever l'ancre ou te laisser pousser des ailes, enfin libre.<br /> Amitiés<br /> Bleue
C
J'ai lu avec bcp d'intérêt tes premiers mots...<br /> Oui je peux en attester, les mots délivrent des maux!<br /> Bonne route à toi...
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