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Mots interdits
17 novembre 2005

La tentation de l'interdit

sujet : la tentation de l'interdit

On vous a expressément interdit de faire quelque chose. Et pourtant, tout votre être se révolte à l'idée de ne pas le faire. Ecrivez un texte de la forme que vous voulez sur cette idée. Le texte doit commencer par la phrase suivante: "Elle me regardait de toute sa hauteur et m'assénait ses vérités une par une".

____

Elle me regardait de toute sa hauteur et m'assénait ses vérités une par une.

Non, je reprends : elle me regarde de toute sa hauteur et m’assène ses vérités une à une. Car, je viens de retrouver ce chemin dans ma mémoire. Cette après-midi là. La chaleur. Les odeurs. Moi j’ai neuf ans, je crois. Les pieds dans la bassine où l’eau est trop chaude, je regarde ma cheville qui gonfle.

Elle répète la même litanie, celle que je connais trop bien… que je ne suis pas sage, que j’ai toujours des idées de désobéissance, que c’est pour les garçons ces jeux là, qu’elle a bien assez de souci sans cela…

Elle ne me demande pas si j’ai mal, elle ne me rassure pas. Ne me caresse pas, ni ne me fait de bises. Non, ce sont des gestes brusques, elle m’a flanquée sur ce tabouret, et a apporté la bassine d’eau avec le gros sel. Et comme je veux retirer mon pied de cette eau trop chaude, elle me maintient fermement la jambe, persuadée sans doute que les bienfaits de l’eau chaude résorberont ce début d’entorse, et assoupliront mon caractère.

En début d’après-midi, mes cousins sont passés.

- On va à la carrière, vous venez les filles ?

La carrière ! mais j’en rêve de cette carrière ! que peut bien représenter ce lieu si mythique pour moi ? un eldorado ! c’est un endroit interdit ! mais alors, pourquoi mes cousins ils y vont eux ?
Moi, je ne suis jamais allée dans une carrière, je n’en ai jamais vu de carrière et parce que je suis une fille… c’est trop injuste ! Le monde est si grand et on ne me fait connaître que des miettes.. Cette carrière, est-ce le jardin d’Eden ? Celui dont on nous a parlé au catéchisme.. avec cet arbre, ce serpent, cette pomme… Ne dit-on pas que c’est l’arbre de la connaissance ?

Ma sœur aînée hésite, elle n’aime pas sortir des sentiers battus. Nos parents ne sont pas là. La voie est libre.
- reste si tu veux, moi j’y vais ! Tu n’es qu’une trouillarde !
Elle se sent responsable de moi, dans son rôle d’aînesse…
- on y va, mais juste cinq minutes

Telle une envolée de moineaux, avec les cousins, nous partons vers la carrière !

carri_re

Quel ravissement…. Après voir franchi allègrement la barrière interdisant l’entrée, passé quelques genêts… nous arrivons dans une grande clairière donnant sur un gouffre… Certaines pentes sont abruptes, d’autres plus douces et tout au fond c’est une mer de sable.

J ‘ai neuf ans et je ne connais pas encore la mer, les plages immenses où l’on peut balader à perte de vue… et cette odeur, cette odeur de juillet qui chauffe le sable. Je suis émerveillée : cet endroit me fait penser au grand désert de mes livres de géographie, ceux qui sentent le voyage et où mon âme s’envole ! Je suis aux anges.

Je m’approche du vide, hypnotisée. D’accord, ce n’est pas le grand vide. Mais du haut de mes neufs ans cela ressemble bien au Mont-Blanc, comme si j’étais au sommet.
Là où mes cousins ont élu leur terrains de jeu, les pentes sont douces et la hauteur pas très importante. Ils sautent à tour de rôle à grands cris, finissent en roulade, se lancent du sable.

- Allez les filles ! Venez sauter !

Ma sœur ainée, du haut de sa dignité, refuse net. Elle me tient fermement la main. Je suis sûre qu’elle regrette amèrement d’avoir cédé et d’être venue ici.

Et moi, j’ai déjà les ailes de la liberté qui me poussent dans le dos, l’appât du défi, de la découverte, et puis aussi de faire aussi bien, non mieux ! que les garçons…

Sans hésiter, je m’élance, saute, trébuche, dévale… et me retrouve au bout de la pente, avec une cheville qui s’est coincée sous moi.

Je frotte, cela ne passe pas, déjà je pleure.

Confusion dans les rangs. La punition est tombée. Est-ce le ciel qui a frappé ? mais… c’était juste pour nous amuser…

Nous rentrons, l’air penaud. Mes cousins me font la chaise à porteur. Je n’arrive pas à mettre le pied par terre. La douleur m’élance.

Nous arrivons. Les parents sont là. Ils commençaient à nous chercher.

On n’a pas la peine de leur donner des explications.
La poussière blanche sur nos vêtements montrent clairement d’où nous venons. La vue de ma cheville gonflée laisse deviner le reste.

Ma sœur file dans la chambre, elle doit préparer sa défense devant le tribunal familial. Mes cousins aussi ont déguerpi, sans demander leur reste.

Et moi, je suis là, sur le tabouret, avec cette eau trop chaude qui me brûle, à me dire qu’elle va refroidir.. et à comprendre que la surveillance sera accrue, et que je mettrais du temps à retrouver ce bonheur de toucher ce sable…

Bien des années plus tard, cette cheville gauche se réveille de temps à autre. Un kiné m’a dit une fois, « ce n’est rien, sans doute une entorse mal soignée ». Je sais maintenant que c’est le rappel de l’interdit…

Je ne vais plus non plus dans les carrières de sable, mais je suis attirée par les dunes, leurs pentes douces, et en fermant les yeux je sens encore l’odeur de ce sable brûlant aux senteurs de juillet. J’ai appris depuis que cela, c’est simplement le plaisir.

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Commentaires
I
Je vois que chez chacun... ces récits nous font replonger dans l'enfance... <br /> je n'ai pas de souvenir d'avoir été "garçon manqué"... non mais celui que si j'avais été un garçon j'aurais eu plus de liberté, plus de droits aussi. Ma mère n'était pas Folcoche, non. Je crois qu'on ne lui avait pas appris la douceur.
P
insouciance de l'enfance - avec ses conséquences, mais là, bénines - si durement "corrigée" sous des dehors de soins à y apporter.. Ca me rappelle un séjour "de vacances" dans la famille qui fut en fait un vrai cauchemar...<br /> O adultes, avez-vous si facilement oublié que vous étiez enfant?...
P
Et pourtant "la punition" était déjà donnée avec l'entorse. Cette Maman me rappelle Folcoche dans vipère au poing. Oui c'est dur.
C
Moi ce qui me frappe, c'est l'accueil si froid de la mère, qui ne s'inquiète pas de son enfant qui s'est fait mal...<br /> Tout à l'idée de la "punition"!<br /> Ca, c'est dur
J
Fille ou garçon manqué ?<br /> Peu importe !<br /> La joie de la découverte, le goût du risque, et puis l'incident...<br /> Cela reste gravé dans la mémoire, l'esprit et le caractère se forgent. On n'est déjà plus une enfant. Il faut répondre de ses actes devant le comité parental. Premières épreuves de la vie.<br /> Premiers pas de grande personne. On saura aller de l'avant, mais aussi réfléchir davantage à l'avenir. Déjà, on est devenue femme !!!<br /> J'ai aimé ce récit ; je t'en remercie.<br /> Jean-Pierre
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