Les îles Cook

Toujours la mer. Pour oublier ma mère ?

Ce pseudo n'est pas anodin. Les îles Cook, c'est mon adolescence. C'est un amour perdu, un amour retrouvé. Un amour envolé là où l'on ne revient pas. Un amour raté.

J'ai 17 ans. En vacances, dans la maison familiale dite "de vacances", dite du "bonheur". La maison familiale de l'horreur, quelques années avant, au sortir de l'enfance. Mes souvenirs sont muets derrière la porte épaisse où je les ai enfermés... La Saône-et-Loire. Saint-Aubin, petit bled paumé qui flirte avec la Loire.

Il a 17 ans, c'est le fils de l'instit. Il a 2 soeurs. En ballade, en vélo, on se croise souvent. Avec mes soeurs, on est "les parisiennes", donc inaccesibles... La même ferme, où l'on va chercher le lait, une attente plus longue que d'habitude... ouf on s'est enfin parlé...

Derrière ses lunettes épaisses de myope, ses yeux sont doux. Son regard ironique et son sourire inimitable me rendent amoureuse avant d'avoir dit ouf !

Des allers et venues sont fréquentes... ping-pong qui s'organisent... baignades dans la Loire... balades en canoe... Les jours passent heureux. Le point de ralliement est la salle de l'école. Odeur d'encre, de papier, cartes aux murs... On s'assoit au même bureau, on rêve, on plaisante. Echange des premiers baisers, premiers serments, premières caresses. Les autres s'éclipsent. Nous sommes les "fiancés". Dans la salle de la mairie (son père est aussi secrétaire de mairie), on joue un mariage : nous sommes les héros.

Sur un nuage bleu, cet été merveilleux... Au mur de la classe, la carte du monde...

Il rêve de la mer. Je la découvre. Nos deux mains enlacées tracent du bout des doigts une croisière imaginaire.

Où nous installerons-nous ? On ferme les yeux. On pointe le doigt sur une mappemonde qui tourne et qu'on arrête de la pointe de nos doigts... Les îles Cook.

Petit point perdu au milieu des Océans.... Le rêve commence... Il s'arrêtera 6 ans après... sans avoir partagé autre chose que des baisers légers, des caresses sages, des promesses d'amour.

C'est un garçon normal : faire ses études, son service, se marier. Il est amoureux. Il n'est pas pressé. Sa vie est toute tracée...

Je suis une fausse jeune fille. Qui cherche le prince charmant qui lui fera oublier l'inommable. Qui lui fera recoller son coeur avec son corps. Qui a soif d'être aimée... Il ne sait rien de moi... Il me respecte... Je ne me respecte pas.

.... Les années ont passé. Vies séparées. Mes rares incursions ne m'ont pas permis de le revoir. Mariée. Lui aussi. Des enfants. Lui aussi. Hélas ... rien de tout cela en commun.

Je divorce une fois. Puis un second divorce... Les échecs s'ajoutent, blessures après blessures.

Août 1997. Ma nièce organise son mariage en Saône-et-Loire. Ses parents sont invités. Lui et sa femme aussi. Je suis seule.

Il est 19 h ... la porte du jardin s'ouvre. Le voilà. Il n'a pas changé. Ses bras. Son odeur. Son sourire. Son regard moqueur. Les années ont fondu. Il ne peut me quitter. Sa femme ne viendra pas. L'espoir insensé s'amplifie dans mon coeur : est-il ou va't'il divorcer ???

Comme les doigts de la main, nous sommes inséparables... Rires, danses, fou-rires. Souvenirs. Que le temps s'arrête par pitié !!! ... Le jour finit par se lever... Il doit partir demain matin, tôt... Il ne peut pas rester. Il me raccompagne :

-Quand nous reverrons-nous ?? me demande t'il ?

- Pas dans trente ans s'il te plait.... La vie prochaine, on se débrouille pour naître aux îles Cook ?

Il me regarde intensément.... il avait oublié les îles de toute évidence ! Je sens son regard basculer, l'émotion le gagner...

Il part. Je suis déchirée... Le lendemain matin, un mot déposé sur le parebrise avant de partir :

"Merci de cette soirée. Je n'oublierai jamais. A très bientôt. Tu m'as redonné ma jeunesse. RdV aux îles..."

Je suffoque de bonheur... on va se retrouver. Peut-etre, quelques jours. Par ci, par là. Faire l'amour avec lui... on ne l'a jamais fait. L'espoir revient en moi, je reprend du courage. Et si on pouvait malgré tout le faire, ce voyage ???

... Veille de Noël. Quatre mois plus tard. Ma soeur appelle. Elle vient d'apprendre. Il a eu un accident. Il est mort...

Noël s'éteint. Je suis hébétée. Ce n'est pas possible. C'est injuste. Les cris, les pleurs restent dans mon coeur et dans ma gorge...

Pourquoi nous être rapproché moins d'une dizaine d'heures.... pour nous séparer encore et irrémédiablement ?

Pourrons-nous connaître ce rendez-vous ultime d'une autre naissance, d'une autre vie ?

Iles Cook... rêve brisé. Remord intense.

Comments

[bernardO]

Belle histoire d'amour. Ah les amours ! Les plus désespérés sont les plus beaux, comme les chants. Sois triste mais sans remord. A quoi sert le remord ? Sinon à se remordre le coeur ? Ce qui est fait est fait ou plutôt en l'occurence ce qui n'a pas été fait ne l'a pas été.

[Coumarine]

Je crois qu'il vaut mieux disposer tes textes autrement...
le dernier au dessus
(sinon, il faut chercher, et tt le monde sait que le lecteur est un paresseux...)